En 1957, le prince Philip qui avait connu l’exil durant son enfance voulut bien intercéder à la prière de trois vieux officiers de feu le Tsar de Russie Nicolas II.

L’étendard du régiment des grenadiers de la garde impériale de Russie avait été conservé par les survivants du régiment après la guerre civile. Ils l’avaient emporté avec eux en France au début des années 1920. Au soir de leur existence, ils eurent l’idée de prier la couronne d’Angleterre de bien vouloir prendre soin d’un lègue provisoire jusqu’à l’hypothétique fin du régime soviétique.

Sa Majesté Elisabeth II répondit favorablement à leur prière. Mon grand oncle Serge et ses camarades sont reçus à leur grande surprise avec tous les honneurs à Winsdor. Un demi siècle plus tard, conformément à la volonté de mon grand oncle et de ses camarades, l’étendard fut restitué par la reine à la Fédération de Russie lors d’une cérémonie officielle le 24 juin 2003 en présence du président russe. Le drapeau repose désormais au musée de l’Ermitage à St Pétersbourg.

Le choix de l’Angleterre comme lieu de sûreté par les derniers officiers n’était pas seulement dû à la guerre froide. Il avait été guidé par des raisons historiques. On racontait dans ma famille qu’à l’origine, la création du régiment des grenadiers de la garde créé par Elisabeth Iere de Russie, au XVIIIe siècle, avait été inspirée par les grenadiers de la garde royale d’Angleterre.

Cette histoire peut paraître anecdotique. Il est en effet difficile aujourd’hui d’imaginer à la fois la valeur et la puissance de l’injonction produite par le serment que ces officiers avaient personnellement prêté au Tsar dans leur jeunesse. Il est aussi difficile d’imaginer pour des « civils » le symbole attaché à l’étendard d’un régiment. Emblème sacré de l’unité collective de ses sujets, il porte tout à la fois la gloire des sacrifices et des victoires du passé, la fierté du présent et l’espérance de l’avenir. La miséricorde de la Couronne Britannique envers ses vieux officiers russes leur a permis de mourir le cœur en paix.

Le prince Philip qui l’avait incarné toute sa vie avec une dignité insigne savait mieux que personne le poids d’un serment qu’il a partagé avec la Reine Elisabeth. Parmi tous les hommages qui lui sont rendus aujourd’hui, signalons particulièrement celui de Sir Simon Schamam dans l’édition du week-end du Financial Times, « Complement to the Queen helped monarchy survive ».

Mais en ce jour, il n’est plus de « Firme », de Prince. Il n’est plus de Duc, de Comte, de Lord. Selon le rite des moines Capucins qui veillent à Vienne sur les dépouilles des descendants de Charles Quint, la porte qui nous attend tous à l’extrémité de nos vies ne s’ouvre qu’à la condition de renoncer à nos titres.

Toc ! Toc ! Toc !

  • Qui est là !
  • Je suis Philip Mountbatten, Prince de Grèce et du Danemark, Prince du Royaume-Uni, Duc d’Edimbourg, Comte de Mérioneth, Baron de Greenwich.
  • Je ne te connais pas !

Toc ! Toc ! Toc

  • Qui est là !
  • Mais je suis Philip l’époux de la Reine !
  • Je ne te connais pas !

Toc ! Toc ! Toc

  • Qui est là !
  • Je suis Philip, pauvre pêcheur… 
  • Tu peux rentrer !

S’il me plait de penser malicieusement que Philip partage désormais un cordial bien mérité avec l’oncle Serge, il me chagrine de constater que la Reine qui porte le poids de tous les secrets politiques et diplomatiques depuis 70 ans ne peut plus les partager avec quiconque.

A la table de l’Histoire, face à son serment, elle est désormais totalement seule.

C’est avec un profond respect que je lui adresse toute ma sympathie, à ses enfants, au peuple Britannique et à ceux du Commonwealth.

Youri Fedotoff

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