Cet article a été initialement Publié sur sens.fr
1885 : Henry Bergson à 25 ans. Jeune professeur de philosophie au lycée de Clermont Ferrand, il dispense un cours d’une dizaine de pages sur la politesse.
Une politesse qui ne soit pas appréhendée à la seule apparence des manières mais surtout de l’esprit et peut être plus obscurément du cœur.
Contemporain de la seconde révolution industrielle, aux prises avec l’idéologie ambiante caractérisée par une confiance immodérée dans les progrès de la science, Henri Bergson dénonce alors l’apparente simplification de la pensée humaine découlant des avancées de la science. Un scepticisme à l’encontre des apparences trompeuses qu’il développe magistralement à l’occasion de son cours sur la politesse.
Bergson est alors, à l’aube d’une brillante carrière qui le verra successivement titulaire de la chaire de philosophie au Collège de France, Président de l’académie des sciences morales et politiques, académicien et couronné du Prix Nobel de littérature.
Remarquable orateur, doté d’une expression d’une rare clarté, Bergson n’est pas un philosophe « révolutionnaire ». Il se méfie du positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) et de l’école matérialiste issue de Marx (1818-1883) et de Hegel (1770-1831).
Une politesse qui ne soit pas appréhendée à la seule apparence des manières mais surtout de l’esprit et peut être plus obscurément du cœur.
Il s’oppose au scientisme des positivistes et des matérialistes qui ne voient en l’homme qu’un élément d’une vaste mécanique complexe et déterminée et défend l’enseignement unitaire de la philosophie qui se voit déclassée par de nouvelles disciplines, notamment la Sociologie de Dürkheim et la psychologie.
Le monde vivant évoluerait selon des lois purement mécaniques et la métaphysique serait une totalité déterminée. Une vision, qui à terme donnera, après deux guerres mondiales, naissance à deux idéologies matérialistes majeures et monstrueusement excessives : le communisme et le nazisme.
Au scientisme, Bergson oppose la dualité complexe de l’homme qui résiderait dans une infinité de transitions entre un « moi » apparent, social et, un « moi » intime construit à partir de la mémoire d’une expérience propre à chaque individu. Tels sont les axes de sa réflexion qui nourriront toute son œuvre et qui se fixent déjà d’une manière précoce dans ses réflexions sur la politesse exprimée dans un style unique par sa simplicité et sa clarté. La politesse n’est pas appréhendée à la seule apparence des manières, mais surtout de l’esprit et peut être plus obscurément du cœur. Les manières ne posent qu’une attitude proportionnée entre le mérite et la reconnaissance exprimant l’estime et la considération. L’esprit en revanche, impose la capacité à s’oublier soi-même et à oublier sa condition sociale qui enferment dans un univers spécifique. Le cœur c’est la vertu, une charité faite de modération opposée aux susceptibilités de l’amour-propre. Savoir écouter ; vouloir comprendre ; pouvoir entrer dans la vie d’autrui ; ne pas choquer, telles sont pour Bergson les composantes de la « vrai politesse ». Le respect de l’opinion d’autrui ne s’acquiert que par un effort continu pour dompter en soi l’intolérance qui est un instinct naturel. En établissant ses recherches sur la conscience et l’expérience intérieure, Bergson a sans doute pressenti la psychanalyse. Gilles Deleuze l’étudiera en s’intéressant notamment à ses notions d’instinct, d’intuition et à l’inconscient Bergsonien dont il voit un essor dans les études de Jung sur l’inconscient.
Bergson appartient à la génération qui a vu la naissance de la science-fiction avec Jules Verne dont les œuvres préfigurent les conquêtes futures sous-marines et spatiales. Nous sommes à présent dans l’ère de la troisième révolution industrielle. La psychanalyse succède à la psychologie, la cybernétique et la génétique prennent le relais de la sociologie. Les X-men et Matrix sont les héritiers des héros de Jules Vernes. Aujourd’hui, comme hier nous sommes partagés entre l’attrait des nouveautés, leur conséquence et les craintes légitimes qu’elles nous procurent. Bergson reste d’une grande actualité. Les craintes du changement ont toujours engendré des réponses positives ou négatives excessives qui peuvent se traduire par exemple dans une confiance aveugle dans la cybernétique et les modèles mathématiques boursiers … ou bien, un rejet radical de toute industrialisation et de la recherche génétique.
Bergson nous invite à aller au-delà des apparences et à tenter de comprendre ce que Jung nommera plus tard des archétypes. Sa philosophie nous invite poliment à la modération dans un dialogue d’une belle intelligence permettant de s’affranchir de la tentation totalitaire face au progrès.
Youri Fedotoff
Pour aller plus loin :
Article : « Bergson et le malaise de notre démocratie » Le figaro 14 octobre 2007
Œuvres principales de Bergson :
Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) ;
Matière et mémoire (1896)
Le rire (1900)
L’évolution créatrice (1907),
L’énergie spirituelle (1919)
Les deux sources de la morale et de la religion (1932)
La pensée et le mouvant (1934)
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