René Chapus, professeur émérite des universités, « Pape » du droit administratif, nous a quitté le 28 Juillet 2017.
C’est peut-être le dernier juriste maitrisant dans toute sa globalité une mémoire vivante d’un droit administratif devenu protéiforme. Il tentait de préserver le bel ordonnancement de son contentieux légué par Raymond Odent.
Par la voix de ses illustres collègues, la Revue Française de Droit Administratif lui rend un hommage un peu convenu comme pétrifié d’une admiration certainement pas feinte. L’accent est plus mis sur la discrétion que sur l’extraordinaire capacité de ce juriste hors pair à appréhender et à rendre vivant un droit qui reste méconnu et qui pourtant pénètre quotidiennement la vie de nos concitoyens.
Chapus n’était pas seulement un chercheur. Il était surtout un veilleur, un bibliothécaire et un analyste avisé de la jurisprudence dont il a été un grand traducteur en s’attachant à l’illustrer avec ces petits riens qui rendent parfois le droit familier, voire amusant. Tous les publicistes se souviennent de la « voie de fait » en « folle du logis » ou encore des atteintes à la dignité du « nain dûment matelassé ». Son manuel de contentieux est un cœur qui battra encore longtemps réunissant d’innombrables décisions rendues par les juridictions administratives de tous les degrés.
Chapus aurait sans doute convenu qu’en droit, l’on a peu inventé depuis l’antiquité. Il n’était pas à la recherche du Graal ni de la pierre philosophale. Il faisait simplement ce que tout juriste digne de ce nom fait tous les jours. : Il s’informait en lisant beaucoup. Mais bien plus, il nous livrait le fruit de ses enquêtes qu’il partageait largement. Comme un bénédictin, il a classé des centaines de décisions et de commentaires de doctrine de tous horizons offrant aux praticiens une mine inestimable. Cet encyclopédiste a œuvré en un temps où l’informatique n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui et à une époque durant laquelle le temps de la réflexion n’était ni incongru ni luxueux. En ce sens, Il est certainement irremplaçable.
Il emmène peut- être avec lui les derniers lustres d’un droit administratif forgé par la troisième république qui a survécu à la quatrième et même à la cinquième mais qui semble donner désormais des signes de délitement miné par le droit européen et les « spécialités ». Sentant le danger de « l’impuissance publique », le Conseil d’Etat tend désormais à se mêler de tout, en donnant le curieux sentiment de vouloir devenir un juge Anglo-Saxon.
Consécutivement aux arrêts « Danthony » et « association AC» les illégalités commises par une administration négligente peuvent désormais échapper aux rigueurs d’une annulation radicale qui garantissait le citoyen contre ses excès ou, à tout le moins, marquait un rappel à l’ordre redouté. La séparation rigoureuse des autorités judiciaires et administratives est aussi largement malmenée. Affublé du masque du « référé liberté », le magistrat dépourvu de la robe pénètre sans vergogne sur les terres du juge judiciaire pour statuer sur les atteintes à la propriété privée (Commune de Chirongui) à celle de l’intégrité physique des individus (affaire Lambert) et encore de la morale (Affaire Dieudonné) et même de la sûreté (rétentions administratives). La personne publique serait devenue un vulgaire cocontractant (Béziers et ses suites) Malgré les efforts de codification, la multiplicité des droits spéciaux assis sur un principe d’indépendance des législations suranné est une source d’insécurité juridique chronique.
Chapus tenait bravement le recours en excès de pouvoir (REP) à bout de bras. Il était manifestement joyeux de le proclamer encore vivant cent après que Hauriou l’eut déclaré « frappé à mort » (Droit du contentieux administratif 13e édition, p.248 ; CE 29 novembre 1912, Boussuge, Hauriou Sirey 1914, t.III, p.33, repris dans Note d’arrêts,Tome 2, Mémoire du droit, page 413 et s.)
Derrière les faux semblants, la prémonition d’Hauriou est peut être advenue. Pour autant, Chapus refusait de chanter la mort annoncée du recours en excès de pouvoir en citant ironiquement les vers romantiques du « El Desdichado » de Gérard de Nerval.(Droit du contentieux, p.248 précité) Mais Il est à craindre que le plus fidèle de ses « afficionados » ne l’emporte avec lui. Qu’il repose en paix. RIP REP !
Youri Fedotoff
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