Les mesures de protection de l’environnement jugées illégales à l’encontre de plusieurs maires contre l’usage de pesticides près des habitations et la catastrophe de Rouen révèlent tout à la fois les contradictions entre les normes et leur application, les discours et la réalité. Il est pour le moins paradoxal, voir cocasse que les maires qui doivent légalement supporter des responsabilités en matière de protection de l’environnement voient leur pouvoir de police dénié. Ce déséquilibre est le reflet des difficultés des mutations du droit et du politique face aux technologies de production.
Le maire : un pouvoir confisqué !
Une obligation de protection…
Parmi les responsabilités des maires, la loi leur impose de protéger l’environnement sous peine de poursuites pénales et administratives. Cela est inscrit dans le code général des collectivités territoriales définissant les obligations de police des maires. « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment (…) Le soin de prévenir, par des précautions convenables (…) les pollutions de toute nature (…) et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure » ( Article 2212-1 ). La faute de la commune peut être retenue en matière d’environnement. Cela a été jugé en cas d’abstention de prises de mesures nécessaires pour pallier à des dysfonctionnements en matière d’ouvrages publics, notamment d’assainissement, de périls résultant de la vétusté de bâtiments ou encore pour avoir ignorer l’exposition à des risques potentiels de catastrophes naturelles.
… mais une action limitée !
Pour autant, cette responsabilité est doublement conditionnée par des pouvoirs concurrents : Le pouvoir de police générale du premier ministre et les pouvoirs de police spéciale attribués par des textes à tel ministre ou telle autorité spécialisée. Dans ce contexte l’action des maires est placée sous la tutelle de ces instances. Le pouvoir de police du maire ne peut alors être que difficilement exercé. La preuve de la carence manifeste de l’autorité compétente à intervenir lui est le plus souvent refusée. Il en résulte que l’action du maire en est en réalité subsidiaire et souvent limitée à l’urgence à éteindre « un incendie ». Son exercice ressemble plus à l’intervention d’un « pompier » qu’à celle d’un « policier ».
Une règlementation environnementale pléthorique et des responsabilités diluées
En 1976, à l’occasion de la première grande reconnaissance législative du droit de l’environnement dans notre pays, un éminent professeur de droit public déclarait : « Le droit de l’environnement n’existe pas ! » Quarante ans plus tard, une telle affirmation prête à sourire devant l’épaisseur du « code de l’environnement ». On peut tout autant sourire devant les critiques excessives : « les gouvernements ne font rien ! » Au contraire, la pléthore de réglementations constitue désormais une multitude infinie de spécialités (polices des installations classées, de l’eau, de l’air, des déchets, de l’énergie, protections diverses…). Elles sont difficilement intelligibles tant par leur complexité que par leur nombre. Les jurisconsultes de droit public du XXe siècle avaient à cœur de poursuivre l’œuvre de leurs ainés qui consistait essentiellement à préserver l’intérêt général en améliorant l’équilibre délicat entre la puissance publique et une prise en compte progressive de l’intérêt individuel des citoyens. Un tel équilibre est difficilement réalisable en démultipliant les polices spéciales concurrentes. Le droit de l’environnement est éminemment transversal. Il intéresse pratiquement tous les domaines d’activité et par conséquent toutes les disciplines classiques du droit. Dans l’affirmation aux accents réactionnaires de l’éminent juriste déniant l’existence du droit de l’environnement, il y avait sans doute moins de réprobation à la nécessité de protéger l’environnement que la prémonition de l’impuissance d’un futur désordre normatif.
Des incantations aux réalités territoriales
« Le peuple Français (…) proclame : Art. 1 – Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ; Art. 2. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement (…) ; Art. 10. – La présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. »
« Tellement français » titrait récemment un magazine rendant hommage à Jacques Chirac promoteur de cette loi. La loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relative à la charte de l’environnement érige la protection de l’environnement en devoir universel. Depuis « la fille ainée de l’église », en passant par la « révolution » on y retrouve le ton, la solennité et la nostalgie du souffle messianique des grandes heures si chères à la France. Elle n’en peut mais… l’intendance suivra ! La voix de la France c’est le chant sacré de la raison. D’ailleurs, quel homme politique aujourd’hui, la main sur le cœur, n’est-il pas prêt à sauver la planète ? Nos institutions européennes pourtant si décriées, ne mobilisent-elles pas prioritairement leurs 43.000 fonctionnaires à cette fin et ne produisent-elles pas des centaines de règlements que notre parlement et nos ministres s’épuisent à intégrer dans notre droit national en freinant parfois des quatre fers ? Dans la réalité, le temps politique se prête mal, tant aux incantations médiatiques qu’aux fulgurances du progrès scientifique.
Le maire, un politique démuni face aux enjeux environnementaux
Les maires sont aux premières loges pour mesurer très concrètement sur le terrain tout à la fois, les souhaits des citoyens, les moyens dont dispose la collectivité au sens large pour y répondre et le désordre chronique dont est affecté la mise en application de la loi. Les questions environnementales sont complexes et leurs politiques nécessairement guidées à l’appui d’expertises. La place des techniciens est devenue prépondérante. Ajouter l’émotion à un débat scientifique touffu, le tout devient inaudible. La tentation est grande d’abandonner à ces mêmes techniciens les décisions. Pourtant, c’est à l’autorité politique de définir des ordres de priorité et une cohérence dans leur application. Elle ne peut abandonner aux juges les décisions qui lui incombent, ni aux maires des pouvoirs qu’elle ne leur reconnaît pas. Des industries et une agriculture propres existent. Les maires ne sont peut-être pas compétents en matière de police des installations classées ou phytosanitaires, en revanche, ils décident de la planification urbaine. Ils ne demandent qu’à implanter des industries propres porteuses d’emplois et faciliter une agriculture respectueuse de l’environnement. Surtout, le maire est souvent le seul échelon politique accessible. Abandonner le maire, c’est mépriser la politique. C’est aussi abandonner la protection de l’environnement. Alors, le professeur aura eu raison : « le droit de l’environnement n’existe pas ».
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